Dans l’Histoire, il y a des périodes décisives. Tout comme la période du mouvement national et du déclenchement de la lutte pour l’Indépendance, celle qui se passe actuellement en Tunisie marque une période de reconquête des attributs d’une souveraineté perdue sous la pression des puissances étrangères en quête d’un nouvel ordre mondial polarisé au détriment des pays qui passent par des difficultés financières et ce, en vue de les mettre à la botte des forces voraces et spoliatrices.
Ces puissances savent que le nerf de la guerre, c’est l’argent. C’est pourquoi, celles-ci ont profité des effets néfastes de la transition démocratique durant la décennie noire où la multiplication effarante du nombre de partis a atteint une proportion incompatible avec la réalité démographique du pays, d’un Code électoral aux malformations multiples et d’une Constitution qui souffre de plusieurs verrous. Elles ont applaudi un Parlement dominé par les contrebandiers, les spéculateurs, les extrémistes et les voyous. Une fois que le temple du pouvoir législatif où se mijotent à petit feu les textes de loi garantissait la pérennité de leur mainmise sur les rouages de l’Etat et du pouvoir exécutif, il était facile pour ces pays de faire voter avec de larges scores les lois scélérates qui accordent aux Occidentaux, aux Turcs ou aux Qataris et à leurs spadassins locaux des privilèges ostentatoires pour saigner le pays à blanc.
Depuis, l’Etat a perdu la maîtrise de son destin et n’arrive plus à assurer son rôle social. Et c’est une Tunisie à deux vitesses et à plusieurs paliers sociaux, qui surfe sur les vagues de la pénurie des produits alimentaires de base, de manque de médicaments et de l’inflation galopante, alors que les plus nantis sont devenus plus voraces et plus gourmands. Le contraste est flagrant, le paradoxe est saisissant. Ces forces du mal qui ont fini par mettre leur grappin sur les rouages de l’Etat tunisien ont mené le pays à la banqueroute en lâchant la bride à des spoliateurs du bien public pour saigner à blanc la trésorerie et s’enrichir sur le dos des citoyens.
Mais ce qui est révoltant dans le nouveau contexte, c’est que les défenseurs de ces usurpateurs qui ont sapé l’autorité de l’Etat dans le champ économique et financier et dépossédé l’administration de ses mécanismes de régulation et de protectionnisme qui ont fait entrer le pays dans des zones de turbulence sociales, font sans vergogne référence aux discours de Jules Ferry en tant que « père de l’école publique laïque, gratuite et obligatoire », tout en reléguant aux oubliettes Ali Belhouane, fondateur de l’école populaire postindépendance. A ces nostalgiques des forces coloniales, nous rappelons que la statue de Jules Ferry qui était dressée sur l’avenue Bourguiba — qui portait à l’époque le nom d’avenue Jules-Ferry — était déboulonnée par les citoyens le 20 mars 1956. Et pour cause, Jules Ferry était le promoteur de l’expansion coloniale française et c’est pendant qu’il était président du Conseil des ministres que la Tunisie fut mise sous tutelle de la France, le 12 mai 1881, par le traité du Bardo instaurant le protectorat de la France sur la Tunisie qui va durer près de 75 ans.
Ce n’est pas la peine de rappeler aux Tunisiens les multiples supplices, massacres et spoliation des richesses de notre pays sous le joug de la colonisation. Aujourd’hui l’histoire se répète sans intervention armée ou conquête militaire mais avec des ingérences et des complots pour prendre le pays à la gorge en vue de continuer à spolier ses richesses en toute liberté sous le couvert d’une pseudo-démocratie.
Car nous sommes un Etat pauvre dans un pays riche et que dans sa malle aux trésors, notre pays compte beaucoup de biens qui font couler la salive aux puissances étrangères. En effet, la Tunisie, qui était le grenier de Rome, dépend aujourd’hui du blé américain, ukrainien ou russe. Ce qui n’est pas normal si on connaît le potentiel agricole dont recèle le pays avec des terres en friche, alors que des sociétés communautaires pourraient les exploiter pour assurer la sécurité alimentaire. Notre pays dispose aussi d’autres opportunités pour dynamiser son économie à l’instar du phosphate, des carrières de ciment, des puits de pétrole et un grand potentiel pour les énergies renouvelables. Nous avons aussi les plus grandes richesses archéologiques qui pourraient générer des milliards de dollars grâce à une bonne stratégie de tourisme culturel. Mais il y a aussi les compétences tunisiennes qu’on essaye d’attirer pour qu’ils partent en Occident avec des programmes de migration spécifiques à l’instar du passeport des talents ou de l’émigration sélective. Nos médecins, nos ingénieurs, nos informaticiens qui partent chaque année par milliers sont une autre richesse nationale spoliée par ces pays.
Oui la Tunisie est un pays riche mais l’Etat est pauvre car il est étranglé par les institutions de Brettons-Wood, des instruments financiers au service des puissances étrangères. C’est pourquoi le combat est livré aujourd’hui pour libérer le pays du joug de ces puissances. Cela passe d’abord par une lutte de reconnaissance et de respect par le biais d’un traitement d’égal à égal qui procurera aux Tunisiens les attributs de la dignité. Mais aussi par une lutte contre les circuits de la contrebande, de la spéculation, du trafic de stupéfiants et du commerce parallèle. Cela passe aussi par un assainissement de l’administration pour la libérer des tiraillements politiques et des conflits d’intérêts. L’heure est au combat. Le moment est pour les patriotes courageux qui placent l’intérêt de la nation au-dessus des calculs étriqués où il n’y a pas de place aux mains tremblantes qui plongent les rouages de l’Etat dans la peur et l’immobilisme.
Car c’est quand l’Etat retrouvera son autorité qu’il sera possible de dessiner les contours de lendemains plus reluisants. L’argent qui y circulera sera celui de l’investissement et du développement qui créera croissance, emplois et partage de richesse pour tous.